Conclusion générale

Dans notre analyse, la construction de la catégorie de réfugié religieux a été développée dans la première partie, alors que dans la deuxième partie nous avons souligné les transformations de la catégorie au croisement de notions juridiques différentes. Dans cette dialectique construction-transformation, qui voit varier le sens des mots en fonction des contextes, la polysémie et l’ambiguïté linguistique deviennent paradoxalement des atouts pour réordonner cet ensemble composite, étudiant le sens de la catégorie de réfugié religieux comme un processus dynamique et poreux à la variabilité du droit, de la géopolitique et des phénomènes sociaux. Notre étude a permis l’émergence des éléments majeurs de la catégorie envisagée et plus précisément : les acteurs en charge de sa définition, les glissements sémantiques, les intérêts cachés sous la surface du texte, les relations entre les différentes terminologies, la relation entre les différents niveaux juridiques de définition. Reprenant les termes de Gérard Cornu, si le but d’une définition légale « de dissiper l’équivoque et l’obscurité » est toujours confronté à « l’extrême diversité des définitions légales »[1] concernant le même concept, le statut de réfugié religieux est un exemple très significatif de cette tension entre la nécessité juridique de définir le plus précisément possible et la polysémie des vocabulaires applicables à la même catégorie dans un système juridique pluriel.

Dans la première partie, nous avons repéré les deux dimensions de construction de la catégorie dans les critères linguistiques de définitions et dans les critères d’application.

Le langage de la protection internationale pour des raisons religieuses a représenté le but de la construction de la catégorie du statut de réfugié. Comme on l’a observé, à partir de la Convention de Genève, les différents textes, se réfèrant à la protection internationale pour des raisons religieuses font ressurgir les critères de la religion, de la peur bien fondée et de la persécution. Si cette articulation est efficace face à la protection des réfugiés seulement à condition de garantir une application homogène de la Convention de Genève dans les différents contextes, notre analyse a montré que ces trois éléments sont des critères possibles pour un nouvel exercice de définition, permettant d’élaborer des concepts novateurs comme celui de « religion persécutée ».

Notre recherche a permis la construction de cette catégorie doctrinale et par opposition a articulé le concept de « religion persécutrice ». Les deux concepts de « religion persécutée » et de « religion persécutrice » trouvent leurs sens dans le statut de réfugié. En effet, dans ce contexte, la protection de la liberté de religion dépend, à la différence de son modèle général de garantie, de la relation entre persécuteur et persécuté, condition majeure de l’existence d’une peur bien fondée de subir une persécution pour des raisons religieuses. En général, le risque de persécution religieuse, comme unique type de violation des droits humains protégé par le statut de réfugié, a rempli de sens notre développement sur les critères de définition et d’application de la protection internationale pour des raisons religieuses en fonction de la dialectique entre persécuteur et persécuté. Cette relation a rendu possibles des développements portant sur les notions de peur bien fondée, de persécution religieuse, de crédibilité du demandeur, puis une comparaison sur la réception du modèle onusien dans l’application de ces critères par le droit européen et national (Union européenne, Conseil de l’Europe, France et Italie). La circulation de la catégorie, en tant que critère d’application, a mis en lumière quelques exemples de convergence ou de divergence entre les différents espaces d’application et aussi les effets des formes d’antagonisme linguistique. Elle a également mis en visibilité les déformations du langage du statut de réfugié religieux entre l’interprétation officielle du droit international et européen et l’application par la jurisprudence italienne ou française.

Dans la deuxième partie, nous nous sommes aussi interrogés sur l’aptitude performatrice du statut de réfugié pour ce qui concerne la garantie des minorités religieuses et les droits humains des personnes LGBTI. Cette approche articule nos développements concernant les notions novatrices de groupe social particulier et de persécution intersectionnelle. Si la première expression trouve sa source dans les textes juridiques concernant les réfugiés, la notion de persécution intersectionnelle a été construite à partir de la notion doctrinale et institutionnelle de discrimination intersectionnelle pour valoriser les effets innovants que la persécution religieuse peut produire dans la dialectique entre religion persécutée, religion persécutrice et orientation sexuelle. Dans cette deuxième perspective, la catégorie de réfugié religieux a montré toute sa dynamicité concernant ses évolutions au croisement avec les minorités religieuses ou bien l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. En effet, la complexité du statut de réfugié religieux a émergé dans les superpositions possibles entre religion persécutée et religion persécutrice, comme dans le cas des fidèles LGBTI persécutés par leur même communauté religieuse, ou encore dans la polysémie de la conversion comme forme de persécution intersectionnelle, dans le cas de personnes homosexuelles converties à l’hétérosexualité, ou comme raison de la persécution dans le pays où l’apostasie est punie.

De la comparaison entre les articulations variables de la catégorie de réfugié religieux envisagées dans cette analyse, on peut poser l’hypothèse selon laquelle les différentes trajectoires linguistiques de définition trouvent dans le lien entre phénomènes religieux et violence un dénominateur commun et ainsi la raison de leur hétérogénéité[2]. Effectivement, le lien entre la religion et la violence est la raison historique à l’origine de la construction progressive du statut de réfugié religieux à partir de la Convention de Genève en 1951. La nécessité de maîtriser à travers le droit international la violence religieuse est le terrain d’affirmation d’un langage juridique universel depuis 1948 qui vise la liberté dans la religion ou de la religion et la garantie de la peur bien fondée de subir une violence à cause de la religion par le biais d’une persécution. À la variabilité des stratégies institutionnelles de gestion de la conflictualité religieuse correspondent des oscillations du langage juridique. Cette variabilité peut se traduire dans : l’utilisation d’une nouvelle terminologie, comme on l’a observé pour la notion de persécution religieuse ou concernant l’expression « certain groupe social » qui, à travers l’attitude violente des religions face à l’homosexualité, intègre les personnes LGBT dans la protection internationale. Le changement linguistique est vecteur des mutations des conditions de protection de la liberté religieuse. De manière générale, la violence contre une religion ou au nom de la religion correspond, par exemple, à des limitations non nécessitées par des exigences d’ordre public, à des discriminations religieuses ou bien à des discriminations contre les minorités sexuelles. Par ailleurs, le statut de réfugié religieux a pour but de prévenir la violence contre des religions ou par la religion, en protégeant le sujet qui a peur, avec raison, d’être persécuté.

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Les multiples relations entre religion, violence et peur deviennent alors des pistes possibles de recherche en droit des religions[3] à partir des oscillations du langage de la liberté religieuse. Parmi ces pistes, par exemple, la correspondance entre types spécifiques de violence religieuse produite par des sociétés religieuses patriarcales et le langage de la liberté religieuse reste une trajectoire d’étude à explorer. De la même manière, en renversant la perspective, un langage juridique qui utilise seulement le critère de la violence pour signifier la relation des personnes LGBT avec la religion pourrait être problématisé, afin de vérifier si cette articulation est vectrice de formes de vulnérabilités institutionnelles. À partir de la violence en tant que notion-pivot, nous pouvons donc envisager de nouvelles recherches sur la catégorie de réfugié religieux dont la définition s’exprime dans son application au sein des intersections globales entre religion et persécution.


  1. Gérard Cornu, "Les définitions dans la loi", dans Mélanges dédiés à Jean Vincent, Paris, Dalloz, 1981, p. 77 et ss.
  2. Dans ce sens-là, Marco Ventura, en proposant une approche plus articulée à la notion de religion dans la société contemporaine, à forte raison a parlé de la "main armée de dieu" pour analyser plusieurs exemples de fois violentes ; V. Marco Ventura, Nelle mani di dio. La super-religione del mondo che verra, Bologna, Il Mulino, 2021, p. 53 et ss.
  3. Pour une définition du droit des religions, v. Francis Messner, Pierre-Henri Prélot, Jean-Marie Woehrling (dir.), Droit français des religions, op. cit., p. 19-22 ; Vincente Fortier, "Le droit des religions, une discipline ? Contribution à la construction d’un objet problématique", dans Revue du droit des religions, 5, 2018, p. 133-156.

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