10 La Section d’avis consultatif et de législation du Conseil d’État syrien. Des pistes d’avenir

Ahmad Kodmani

** La traduction des études du Conseil d’État est une traduction non officielle (libre). Tous les liens (URL) mentionnés dans ce chapitre ont été consultés pour la dernière fois en juin 2021.

Introduction**

Dans des États démocratiques tels que la Belgique et la France, le Conseil d’État joue un rôle essentiel dans l’élaboration des normes législatives et réglementaires. Historiquement, le rôle du Conseil d’État a évolué : de conseiller du Prince, il est devenu son gardien. Dans l’antichambre du pouvoir, le rôle du Conseil d’État n’est plus courtisan. Il dirige les pas des gouvernants sur la voie étroite de la légalité et de la constitutionnalité de leurs actions et de leurs décisions. Au fil du temps, le Conseil d’État a quitté le giron de l’exécutif pour rejoindre celui du Parlement[1].

En Syrie, le rôle consultatif du Conseil d’État est plongé dans l’ombre. La Constitution syrienne de 1973 ne faisait aucune référence à la mission consultative du Conseil d’État syrien[2]. L’article 39 de la nouvelle Constitution syrienne de 2012 prévoit désormais que le Conseil d’État est « un organe consultatif autonome ». Mais contrairement à la Constitution française qui prévoit les cas dans lesquels la consultation du Conseil d’État français est obligatoire[3], la Constitution syrienne renvoie au législateur le soin de déterminer les compétences consultatives du Conseil d’État. Lors de la réforme du Conseil d’État de 2019[4], la Section d’avis consultatif et de législation n’a été que très peu réformée par le législateur.

Le silence constitutionnel, l’imprécision des dispositions législatives, le manque de données statistiques et scientifiques sur le rôle du Conseil d’État syrien et le défaut d’indépendance du Conseil d’État face au pouvoir exécutif[5], tous ces facteurs plongent dans l’ombre le rôle du Conseil d’État dans l’élaboration des lois et règlements.

Dans ce chapitre, notre ambition est d’éclairer la mission consultative du Conseil d’État syrien en pointant dans un premier temps les difficultés que rencontre la Section consultative du Conseil d’État syrien (I) et en proposant dans un second temps des idées de réforme inspirées des Conseils d’État égyptien, belge et français (II).

I. Les difficultés

La Section d’avis consultatif et de législation est divisée en différentes chambres qui peuvent être saisies par la présidence de la République, le Conseil des peuples, les ministères et les administrations publiques[6]. Selon la nouvelle loi du Conseil d’État syrien de 2019, leur nombre et leurs compétences sont arrêtés par décision du Conseil privé du Conseil d’État[7]. Chaque chambre est présidée par un conseiller. Actuellement, la Section d’avis consultatif et de législation se divise en 5 chambres divisées selon une répartition en fonction du ministère qui est à l’origine de la demande de consultation[8].

La Section d’avis consultatif et de législation comprend également un Bureau de la rédaction législative qui a été créé en 2019[9]. Ce nouveau Bureau se compose de membres du Conseil d’État et il est présidé par un conseiller d’État.

La section d’avis consultatif et de législation possède enfin une Assemblée générale qui comprend sept membres : le président du Conseil d’État, les vice-présidents du Conseil d’État et des conseillers d’État par ordre d’ancienneté[10].

Pour faire le tour des problèmes que rencontre actuellement la Section d’avis consultatif et de législation du Conseil d’État syrien, nous passerons d’abord en revue les compétences du Conseil d’État syrien puis la procédure qui est diligentée en son sein et enfin, sa mission de rapport.

Des compétences confuses et insuffisantes

À la lecture des dispositions législatives de la loi n° 32 de 2019, les compétences des chambres, du Bureau législatif et de l’Assemblée générale sont à la fois insuffisantes et confuses. Insuffisantes car en l’absence d’une obligation légale contraignant le pouvoir exécutif à associer la Section d’avis consultatif et de législation dans sa mission réglementaire et législative, le rôle de cette dernière reste inféodé à ce dernier et en pratique, marginalisé. Confuses car la Section d’avis consultatif et de législation exerce deux types de compétences : des compétences consultatives et d’étranges compétences contentieuses.

Les compétences des chambres

En vertu de l’article 69 de la nouvelle loi du Conseil d’État syrien de 2019, le Gouvernement ou le Parlement syrien (l’Assemblée populaire) peut interroger le Conseil d’État syrien sur toute question juridique ou administrative qui lui paraît présenter une difficulté. Les demandes sont généralement envoyées au Conseil d’État par la présidence de la République, le Conseil des peuples, la présidence du Conseil des ministres et les ministères[11]. Ces demandes d’avis visent à résoudre un problème juridique, à interpréter les textes juridiques, à éclairer les administrations publiques sur la portée de dispositions, ou à donner un avis sur un contrat administratif. Les demandes d’avis sont traitées par les différentes chambres en fonction du ministère qui est à l’origine de la demande.

En principe, la consultation de la Section consultative pour les demandes d’avis est facultative : l’administration a le choix de consulter ou non le Conseil d’État. Toutefois, dans certains cas déterminés par la loi, l’administration est obligée de consulter la Section d’avis consultatif du Conseil d’État. Selon l’article 70 de la loi n° 32 organique du Conseil d’État, les administrations sont obligées de demander l’avis du Conseil d’État pour tout engagement concernant un investissement ou une exploitation de ressources naturelles du pays. En vertu de l’article 71 de cette même loi, l’administration doit consulter les chambres du Conseil d’État avant de conclure, accorder ou autoriser un contrat, une conciliation ou un arbitrage dans les matières de plus de cent cinquante millions de livres syriennes. L’articulation juridique de ces obligations légales avec l’exemption de certains contrats prévue par décret législatif[12] reste cependant confuse.

Que la consultation soit obligatoire ou facultative, l’avis rendu par la Section consultative du Conseil d’État syrien n’est en principe pas contraignant[13]. Toutefois, un récent avis de l’Assemblée générale de la Section d’avis[14] a opéré un revirement capital en affirmant que les avis rendus par la Section consultative du Conseil d’État concernant les questions administratives, juridiques ou interprétatives des lois sont contraignants pour l’autorité qui les a sollicités.

Les compétences du Bureau de la rédaction législative

La nouvelle loi organique du Conseil d’État syrien de 2019 a créé un bureau de la rédaction législative au sein de la Section consultative du Conseil d’État syrien pour réviser les projets d’acte législatif qui sont envoyés au Conseil d’État par la présidence de la République, le Conseil du peuple ou la présidence du Gouvernement[15]. Avant 2019, cette compétence appartenait aux chambres consultatives du Conseil d’État[16]. Le Bureau de la rédaction législative peut être également chargé par le Gouvernement syrien, le Conseil de peuple ou le président de la République de préparer ou rédiger le texte d’un projet législatif ou réglementaire, dont ils déterminent la matière et l’objet[17].

Pour le surplus, contrairement à l’Égypte[18], la consultation du Conseil d’État syrien pour les projets de loi et de règlement n’est pas obligatoire en Syrie. Ni la Constitution syrienne, ni la loi n° 32 du Conseil d’État syrien n’a prévu une obligation générale de consulter la Section consultative du Conseil d’État syrien pour les projets de loi et de règlement.

En matière de loi et de règlement, la Section d’avis consultatif et de législation du Conseil d’État syrien est donc compétente dans deux cas. Dans le premier cas, le Gouvernement ou le Parlement prépare les projets de loi ou de règlement et l’envoie, le cas échéant, au Conseil d’État afin qu’il révise leur rédaction. Dans le second, le Gouvernement ou le Parlement peut charger le Bureau de la Section consultative de préparer et rédiger le projet de loi ou de règlement, en indiquant la matière et l’objet du projet en question. Dans les deux cas, la consultation du Conseil d’État syrien est facultative.

Malgré le déficit de source statistique et doctrinale, on peut néanmoins constater que la mission consultative réglementaire et législative du Conseil d’État syrien est marginale car le pouvoir exécutif syrien n’est pas obligé de saisir la Section consultative pour les projets de loi et de règlement. On peut d’ailleurs s’étonner que le législateur syrien ait obligé les administrations publiques à consulter la Section consultative du Conseil d’État pour certains actes administratifs déterminés par la loi (conclure un contrat, autoriser une conciliation), mais qu’il n’ait pas prévu une telle obligation pour le chef du Gouvernement ou le président de la République à l’égard des textes législatifs ou réglementaires.

Après avoir passé en revue les compétences des chambres du Conseil d’État, penchons-nous sur les compétences de l’Assemblée générale.

Les compétences de l’Assemblée générale

Le législateur réserve à l’Assemblée générale les affaires d’une certaine importance. Selon l’article 75 alinéa 1, de la loi n° 32 sur le Conseil d’État syrien, l’Assemblée générale est chargée d’émettre un avis motivé sur : « 1 : Les questions importantes internationales, constitutionnelles et législatives envoyées par la présidence de la République, le président du Parlement, le président du Gouvernement, un ministre ou le président du Conseil d’État. 2 : Les affaires étudiées par une chambre qui trouve dans son projet d’avis une contradiction avec un avis précédent d’autre chambre ou avec un avis précédent de l’Assemblée générale de la section consultative »[19].

Comme déjà mentionné, en 2016, un avis de l’Assemblée générale de la Section d’avis consultatif et de législation considère que les avis de la section consultative concernant l’interprétation des lois ou des questions juridiques sont contraignants pour l’autorité qui l’a sollicité[20]. En 2019, le caractère contraignant des avis de l’Assemblée générale a été consacré par le législateur syrien[21]. Ce caractère contraignant concerne uniquement les avis de l’Assemblée générale et non ceux rendus par les chambres consultatives du Conseil d’État.

De plus, l’Assemblée générale est également compétente pour réviser la rédaction des projets de loi par le bureau de la rédaction législative qui lui sont renvoyés en raison de leur importance[22]. Enfin, l’Assemblée générale est chargée d’une curieuse compétence à cheval entre la mission consultative et la mission contentieuse. Elle est compétente pour émettre un avis motivé dans les litiges entre deux administrations dans les conditions suivantes[23] : le litige doit concerner un droit et non l’interprétation d’un texte ; les deux parties doivent être des administrations publiques (les ministres, les établissements publics à caractère industriel et commercial, les organes provinciaux ou municipaux) ; le litige doit résulter de l’exercice de l’activité publique[24].

Ce rôle contentieux de l’Assemblée générale soulève de multiples questions dès lors que l’Assemblée générale du Conseil d’État est un organe consultatif et non un organe juridictionnel doté de garanties procédurales[25].

En outre, se pose la question de la force juridique des avis rendus par l’Assemblée générale dans ce contexte. De tels avis sont-ils obligatoires ou facultatifs ? L’administration peut-elle refuser d’exécuter ceux-ci ? Contrairement à la législation égyptienne[26], l’ancienne législation syrienne était muette sur cette question[27]. La légisprudence de la Section consultative du Conseil d’État[28] et la jurisprudence de la Cour de cassation[29] ont comblé ce silence en posant que les avis rendus par l’Assemblée générale en matière des litiges entre les administrations publiques sont contraignants. Récemment, la nouvelle loi du Conseil d’État de 2019 a consacré le caractère contraignant des avis rendus par l’Assemblée générale en matière des litiges entre les administrations publiques[30]. Elle n’a cependant pas défini la sanction en cas de non-respect de ces avis par les administrations publiques.

Enfin, la compétence contentieuse de l’Assemblée générale prévue par l’article 74 de la loi n° 32 soulève à notre avis un problème majeur d’inconstitutionnalité car cela prive l’administration publique de son droit de saisir une autre juridiction en cas de litige avec une administration publique. Or, la Constitution syrienne de 2012 interdit d’exclure certains actes ou décisions administratives de tout contrôle juridictionnel[31] et garantit le droit de recourir à la justice[32]. De plus, le législateur distingue les litiges entre les administrations publiques qui sont confiés à l’Assemblée générale, et les litiges entre les citoyens et les administrations publiques qui sont confiés à la Cour du Contentieux administratif ou à la juridiction judiciaire. Ce faisant, le législateur opère une distinction qui ne repose sur aucune justification raisonnable et partant, il viole le principe d’égalité devant les lois qui est consacré par la Constitution syrienne de 2012. Ne serait-il pas plus logique d’octroyer cette compétence aux juridictions administratives en lieu et place de l’Assemblée générale de la section d’avis consultatif ?

Comme nous venons de le voir, les compétences de la Section d’avis mériteraient d’être clarifiées et renforcées. Avant de suggérer des pistes en ce sens, nous allons nous pencher sur la procédure qui est suivie au sein de cette Section et montrer qu’elle suscite également des critiques.

Une procédure peu réglementée

La réglementation de la procédure devant la Section d’avis consultatif et de législation ne permet pas à cette section d’être efficace. Les articles 66 et 76 de la loi organique n° 32 sur le Conseil d’État sont rédigés de manière générale. L’article 49 de la loi n° 76 confie au règlement interne du Conseil d’État le soin de préciser les règles de répartition des demandes d’avis entre les membres des chambres et les procédures de la consultation du Conseil d’État. Ce sont donc les articles 21 à 41 du Règlement interne du Conseil d’État syrien qui organisent les procédures devant la Section consultative du Conseil d’État.

Ce Règlement définit la procédure de la manière suivante. Les demandes d’avis sont attribuées aux différentes chambres en fonction du ministre qui est à l’origine de la demande. Le président de chaque chambre règle la distribution des demandes d’avis parmi les membres de sa chambre[33]. La chambre compétente rend l’avis et renvoie le dossier devant un comité spécifique ou devant l’Assemblée générale en cas de difficulté. En l’état actuel, la réglementation de la procédure soulève deux problèmes principaux.

Le premier concerne l’absence de délai imposé à la procédure. Ni la nouvelle loi n° 32, ni le règlement interne du Conseil d’État syrien ne détermine le délai dans lequel la Section d’avis consultative et de législation doit donner son avis. Par manque de statistiques, on ne peut pas connaître le délai moyen d’élaboration d’un avis motivé par le Conseil d’État syrien, mais il n’est pas déraisonnable de penser que la lenteur des procédures qui caractérise les institutions syriennes en général, et les juridictions syriennes en particulier[34], atteint également la Section d’avis consultative et de législation. Dans ce contexte, il est regrettable que le règlement interne du Conseil d’État syrien soit toujours identique à celui appliqué devant le Conseil d’État égyptien en 1955[35] et qu’il n’ait été ni modernisé, ni adapté aux spécificités syriennes. L’adoption d’un nouveau règlement interne propre au Conseil d’État syrien permettrait de fixer les délais dans lesquels la Section d’avis doit accomplir sa mission consultative.

Le second problème procédural concerne la publicité de la procédure. Le Règlement prévoit que l’avis rendu par le Conseil d’État syrien est communiqué par porteur à l’administration concernée, et à cette administration seulement. Il n’est pas publié et il n’est donc pas accessible au public. De plus, l’original du projet de loi ou de règlement examiné par la section consultative du Conseil d’État syrien est renvoyé à l’administration concernée sans conservation d’une copie au sein du Conseil d’État. Cela rend difficile la lecture et l’utilisation ultérieure de ces avis, même de manière interne, et partant cela freine la construction et la diffusion d’une légisprudence cohérente.

La section consultative du Conseil d’État se caractérise par des compétences confuses et une procédure peu réglementée. Avant de formuler des pistes d’amélioration, tournons-nous vers un outil précieux : le rapport d’activités.

Un rapport d’activités sous-utilisé

En pratique, évaluer les compétences et le fonctionnement de la Section consultative du Conseil d’État syrien est délicat en raison du manque de sources. Il existe pourtant un précieux moyen d’information prévu par l’article 78 de la loi n° 32 du Conseil d’État selon lequel « Le président du Conseil d’État envoie au président de la République, tous les six mois, un rapport incluant les résultats d’études, les réformes nécessaires d’ordre législatif ou réglementaire et les cas d’excès de pouvoir commis par les administrations publiques. »

En pratique cependant, cet outil est sous-utilisé par le Conseil d’État. Ce dernier se contente d’envoyer tous les deux ou trois ans un rapport d’activités sommaire, sans suggérer des réformes, ni signaler les excès de pouvoirs, ni fournir les études visées par l’article 78 de la loi n° 32. En outre, ce rapport n’est ni accessible au public, ni disponible en ligne. Le Conseil d’État se passe donc d’un précieux outil d’information et d’un puissant levier de réforme.

Nous venons de passer en revue les difficultés que rencontre la Section consultative. Nous allons à présent tracer des pistes de réforme qui pourraient être suivies afin de renforcer le contrôle qu’elle exerce sur les autorités syriennes.

II. Des pistes de réforme

Dans ce chapitre, nous suggérerons des réformes pour améliorer la fonction consultative du Conseil d’État syrien en nous inspirant des expériences des conseils d’État égyptien, belge et français. Nous suggérons successivement de renforcer les compétences de la Section d’avis consultatif et de législation, d’améliorer la procédure suivie en son sein et de revaloriser le rapport annuel des activités du Conseil d’État syrien.

Renforcer et clarifier les compétences

Pour améliorer les travaux de la Section consultative du Conseil d’État syrien, il est souhaitable de procéder à une réforme en profondeur visant à clarifier et élargir les compétences consultatives du Conseil d’État syrien. Cette réforme devrait porter sur trois aspects.

La première modification concerne le renforcement des compétences consultatives du Conseil d’État syrien dans le processus de l’élaboration des normes législatives et réglementaires. À la différence des lois organiques sur les Conseils d’État belge[36], français[37] et égyptien[38], la loi n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien n’impose pas au pouvoir exécutif de consulter la Section consultative du Conseil d’État lorsqu’il élabore des projets d’acte législatif ou réglementaire. Comme nous l’avons vu, l’implication du Conseil d’État syrien dans ce processus n’est que facultative. Par conséquent, le Gouvernement syrien peut se passer complètement du Conseil d’État syrien dans sa mission législative et sa mission réglementaire. Il convient de remédier à cette lacune en insérant un nouvel article à la loi n° 32 obligeant le Gouvernement syrien à soumettre à l’avis motivé du Conseil d’État syrien tous les projets de loi et de règlement.

Toujours dans l’objectif de renforcer les compétences consultatives du Conseil d’État syrien, il conviendrait de modifier la loi n° 32 afin d’autoriser le Parlement syrien à consulter le Conseil d’État syrien sur les propositions de loi qui émanent de ses membres. Le Conseil d’État syrien pourrait à ce sujet suivre la même évolution qu’en France. Alors que le Conseil d’État français était le conseiller exclusif du Gouvernement, il s’est vu confier un rôle de conseiller du Parlement à partir de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008[39]. En vertu des conditions prévues par la loi[40], le président d’une Assemblée peut soumettre au Conseil d’État pour avis avant son examen en Commission, une proposition de loi déposée par l’un des membres de cette assemblée, sauf si ce dernier s’y oppose[41]. En Belgique aussi, la Section de législation peut être saisie par les différents parlements sur les propositions législatives émanant de leurs membres, à l’initiative de leur président ou d’un certain nombre de leurs membres[42]. Permettre au Conseil d’État syrien de quitter le giron exclusif du pouvoir exécutif serait donc une évolution logique de cette institution. Cette mesure ferait coup double : elle serait de nature à autonomiser à la fois le Conseil d’État syrien et les parlementaires de la mainmise du pouvoir exécutif.

Pour revaloriser la mission consultative du Conseil d’État syrien, une deuxième modification s’impose : il faut supprimer la curieuse compétence contentieuse de la Section d’avis consultatif et de législation du Conseil d’État syrien. Nous proposons donc d’abroger l’alinéa C de l’article 75 de la loi n° 32 de 2019 qui confie à l’Assemblée générale de la Section consultative la compétence de trancher les litiges entre les administrations publiques et de la confier à la Section juridictionnelle du Conseil d’État syrien. À l’instar de la Belgique et de la France, il n’y aurait donc plus de distinction parmi les litiges avec les administrations publiques syriennes. En outre, cela permettra de clarifier le rôle du Conseil d’État dans la résolution de ces litiges : la Section juridictionnelle les tranchera de manière décisoire.

Enfin, la troisième modification que nous suggérons concerne la coordination des textes juridiques syriens. Certaines législations syriennes et leurs modifications successives ne sont pas unies dans une seule version en raison de l’absence d’un organe ayant pour mission de coordonner ces textes. Pour n’en prendre qu’un exemple : avant 2019, l’ancienne loi n° 55 de 1959 sur le Conseil d’État syrien et ses modifications par la loi n° 7 de 1990 et la loi n° 13 de 2011 n’étaient pas coordonnées dans un texte unique. Une coordination remédierait à cette fâcheuse dispersion et permettrait une consultation plus aisée des textes.

Le législateur belge est inspirant à ce sujet : il a confié à la Section de législation du Conseil d’État belge la compétence de coordonner, de codifier et de simplifier les textes à la demande des présidents des parlements ou des gouvernements[43]. Dans ce cas, le Bureau de coordination soumet son projet à la Section de législation qui le transmet avec son avis motivé au Premier ministre ou aux présidents concernés[44]. Il est souhaitable que le législateur syrien suive le pas de son homologue belge en insérant un nouvel article dans la loi n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien octroyant au bureau de la rédaction législative de la Section consultative du Conseil d’État la compétence de coordonner et de codifier les textes de lois syriennes.

Nous venons de voir comment le rôle consultatif du Conseil d’État syrien pourrait être renforcé en clarifiant et en étendant ses compétences. Nous allons à présent formuler des propositions sur la procédure suivie en son sein.

Améliorer et accélérer la procédure

Face à la lenteur des procédures devant la Section consultative du Conseil d’État syrien, la loi et le Règlement du Conseil d’État doivent être réformés afin de prévoir les mesures suivantes : adopter un nouveau système de répartition des dossiers ; automa-tiser ce système afin d’alléger le travail du greffe ; permettre l’utilisation de nouveaux moyens de communication (télécopieur, courrier électronique) entre le Conseil d’État et l’administration, comme c’est le cas en France et en Belgique.

De même, il serait utile de prévoir des procédures de consultation en urgence et des délais maximaux dans lesquels les avis doivent être rendus afin d’accélérer et améliorer le traitement des dossiers soumis à la Section consultative, comme devant le Conseil d’État belge[45].

Enfin, d’importantes mesures de publication seraient opportunes afin que la Section consultative puisse jouer un rôle efficace : développer un site internet ; publier systématiquement les avis du Conseil d’État sur ce site comme le fait la Belgique depuis le 1er janvier 2017[46] ; publier en ligne une brochure détaillée sur la procédure devant la Section consultative du Conseil d’État syrien comme l’a fait le Conseil d’État belge[47]. Afin de construire une légisprudence solide et la diffuser de manière efficace, la copie des projets de texte qui font l’objet de ces avis devrait être conservée au sein du Conseil d’État et publiée concomitamment à ces avis. Un dernier levier peut être utilisé pour améliorer la fonction consultative du Conseil d’État syrien : le rapport d’activités.

Revaloriser le rapport annuel des activités du Conseil d’État syrien

Pour que soit respecté l’article 78 de la loi actuelle du Conseil d’État syrien qui prévoit l’envoi semestriel d’un rapport d’activités au président de la République, nous proposons d’instaurer au sein de celui-ci une Section du rapport et des études comme en France[48]. De plus, le contenu de ce rapport devrait être fixé légalement de manière précise, comme c’est le cas en France[49] et en Belgique[50].

Ce rapport devra également être publié et disponible sur le site internet du Conseil d’État syrien, comme c’est le cas en France et en Belgique. En respectant ces modalités, nous sommes convaincus que ce rapport sera essentiel pour évaluer le rôle du Conseil d’État syrien, l’aider à résoudre ses problèmes et lui permettre de jouer un rôle décisif dans l’édification du droit syrien de demain.

Conclusion

Pour reconstruire la Syrie sur des bases démocratiques, le pouvoir exécutif devrait être obligé de consulter le Conseil d’État lorsqu’il élabore des projets de norme législative et réglementaire. Une modification législative de la loi n° 32 de 2019 devrait être adoptée en ce sens. De même, pour relever les défis d’une nouvelle Syrie démocratique, la section consultative du Conseil d’État syrien devrait être soumise à des procédures plus exigeantes et à une règle de publicité maximale de ses activités en général, et de ses avis en particulier. C’est à ces conditions que le Conseil d’État syrien pourra, de courtisan, devenir contre-pouvoir.


  1. Sur cette évolution en France, voyez infra.
  2. L’article 138 de la Constitution syrienne de 1973 prévoyait que "le Conseil d’État exerce le contentieux administratif, la loi détermine les conditions de désignation de ses magistrats, de leur avancement, discipline et révocation".
  3. Articles 37, 38 et 39 de la Constitution française de 1958.
  4. Les articles 66 à 76 de la nouvelle loi organique n° 32 du 16 décembre 2019 concernent la section d’avis consultatif et de législation du Conseil d’État syrien.
  5. Nous avons consacré l’un des chapitres précédents à la question de l’indépendance du Conseil d’État syrien et à sa subordination au Conseil des ministres.
  6. Article 66 de la loi organique n° 32 de 2019 du Conseil d’État syrien.
  7. Selon l’ancienne loi du Conseil d’État syrien de 1959, leur nombre et leurs compétences étaient arrêtés par l’Assemblée générale du Conseil d’État.
  8. La Chambre A donne des avis concernant les contrats et les questions juridiques émanant du président de la République, de la présidence du Parlement, de la présidence du Conseil des ministres, du ministère de la Défense, du ministère des Affaires étrangères, du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Commission de la planification d’État. La Chambre B donne des avis concernant les contrats et les questions émanant du ministère de l’Économie et du Commerce extérieur. La Chambre C donne des avis concernant les contrats et les questions émanant du ministère du Logement et de la Construction, du ministère des Finances, du ministère de la Communication, du ministère du Pétrole. La Chambre D donne des avis concernant les contrats et les questions émanant du ministère des Affaires religieuses, du ministère de l’Environnement, du ministère du Tourisme et du ministère des Affaires sociales et de l’Emploi. La Chambre E donne des avis concernant les contrats et les questions émanant du ministère de l’Éducation, du ministère du Commerce intérieur, du ministère de la Culture, du ministère de l’Électricité ; M. N. Al-Masry, "Le système judiciaire en Syrie", en ligne sur le site du barreau des avocats de Damas (en arabe) : https://www.damascusbar.org/arabic/judidical_sys/ifram/law_sys.htm (consulté le 18 juin 2021).
  9. Article 72 de la loi organique n° 32 de 2019 du Conseil d’État syrien.
  10. Selon l’article 43 de l’ancienne loi du Conseil d’État syrien de 1959, l’Assemble générale de la Section d’avis consultatif et de législation comprenait un vice-président et tous les présidents des chambres.
  11. Article 69 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  12. Par exemple, le décret législatif n° 155 du 31 décembre 1964 a exempté les contrats du Bureau des blés de la consultation du Conseil d’État ; le décret législatif n° 292 du 22 décembre 1963, les contrats conclus à l’extérieur de Syrie en cas de nécessité ; le décret n° 74 du 14 octobre 1973, les contrats de développement.
  13. A. Talbeh, Le Contrôle judiciaire sur les actes de l’administration, 5e éd., Damas, Presses universitaires de Damas, 1996, p. 126.
  14. Avis de l’assemblée générale de la Section d’avis consultatif, n° 670/2016 dans l’affaire N° 2170/2016, non publié.
  15. Article 72 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  16. Article 45 de la loi n° 55 de 1959 sur le Conseil d’État syrien.
  17. Article 73 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  18. En vertu de la loi n° 47 de 1972 sur le Conseil d’État égyptien ( Journal officiel, n° 40 du 5 octobre 1972), le législateur a obligé le gouvernement égyptien et les ministres à consulter le Conseil d’État égyptien pour tout projet de loi et de règlement, ainsi que le président de la République pour toutes les décisions à caractère législatif. L’article 63 de la loi organique sur le Conseil d’État égyptien indique que "tout ministre ou toute administration doit, avant de promulguer une loi, une décision du président de la République à caractère législatif ou une ordonnance, consulter le Conseil d’État pour réviser la rédaction de tels projets".
  19. Article 75 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  20. Avis n° 670/2016 de l’Assemblée générale rendu dans l’affaire n° 2170/2016, non publié.
  21. Article 75 alinéa 3 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  22. Article 75 alinéa 2 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  23. Article 75 alinéa C de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  24. Cependant, suite à un avis de l’Assemblée générale, les litiges résultant de l’exécution d’un contrat administratif entre deux administrations publiques syriennes sont de la compétence exclusive de la Cour du contentieux administratif et sont exclus de la compétence de l’Assemblée générale de la Section d’avis consultatif (Avis n° 34/2011 de l’Assemblée générale rendu dans l’affaire n° 1141/2011, non publié – à propos d’un litige concernant un contrat public entre l’Entreprise publique des Voies et des Ponts et l’Organisme général des Transports routiers).
  25. La jurisprudence judiciaire syrienne a confirmé la compétence de principe de l’Assemblée générale pour trancher les litiges entre les administrations publiques. Une décision de la Cour de cassation syrienne indique que "l’Assemblée générale du Conseil d’État est le seul organe compétent pour trancher les litiges entre les administrations publiques" ; C.C.S., n° 3 du 8 mai 1972, "Les principes juridiques de l’Assemblée générale de la Cour de cassation", Revue de droit, ministère de la Justice, Ire partie, 1993, p. 263.
  26. L’article 66 alinéa D de la loi organique du Conseil d’État égyptien n° 47 de 1972 précise que "l’avis de l’Assemblée générale des sections d’avis et de législation est contraignant pour les parties intéressées".
  27. L’article 47 de la loi n° 55 de 1959 indiquait que "l’Assemblée générale des sections d’avis et de législation est chargée d’émettre un avis motivé sur […] les litiges entre les ministères et les diverses administrations, ou entre les ministères et les administrations, ou entre les ministères et les organes provinciaux ou municipaux, ou entre ces derniers organes".
  28. La "légisprudence" désigne les avis rendus par la Section consultative du Conseil d’État syrien.
  29. La jurisprudence judiciaire a confirmé le caractère contraignant des avis de l’Assemblée générale relatifs aux litiges entre les administrations publiques en indiquant que dans ce cas, "l’avis rendu est contraignant pour les administrations publiques" ; C.C.S., n° 3 du 8 mai 1972, "Les principes juridiques de l’Assemblée générale de la Cour de cassation", Revue de droit, ministère de la Justice, Ire partie, 1993, p. 263. Dans le même sens, voyez l’avis n° 21-B/4749 du Conseil des ministères du 29 juin 2002, non publié, cité in H. Alkaed, "La compétence de l’Assemblée générale de la section d’avis consultatif et de législation pour les litiges entre les administrations publiques", Revue des sciences économiques et juridiques de l’Université de Damas, 2010, n° 26.
  30. Article 74 alinéa 3 de la loi organique n° 32 de 2019 sur le Conseil d’État syrien.
  31. Article 51 alinéa 4 de de la Constitution syrienne de 2012 qui dispose qu’ "il est interdit d’exclure certains actes administratifs du contrôle judiciaire".
  32. Article 51 alinéa 3 de la Constitution syrienne de 2012 qui prévoit que "le droit de recourir à la justice, aux voies de recours et aux moyens de défense est garanti par la loi".
  33. Article 29 du Règlement interne du Conseil d’État syrien.
  34. S. Dalla, "La Syrie. Une réforme de l’état inachevée et bloquée", op. cit. , p. 29-53.
  35. Le Règlement interne égyptien a été adopté par décision du Premier ministre le 12 avril 1955.
  36. En Belgique, cette obligation est prévue par l’article 3 des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Elle concerne à la fois les projets de norme législative (loi, décret, ordonnance) et les projets d’arrêté réglementaire (royal, gouvernemental, ministériel).
  37. La Constitution française impose la consultation obligatoire du Conseil d’État pour tous les projets de loi (article 39 alinéa 2), pour les projets de décret visant à modifier ou abroger des lois antérieures (article 37 alinéa 2) et pour les ordonnances (article 38). En ce qui concerne les règlements d’exécution des lois, il revient à ces dernières de soumettre ou non ceux-ci à la consultation du Conseil d’État.
  38. L’article 63 de la loi organique n° 47 de 1972 du Conseil d’État égyptien a inséré l’obligation de consulter la Section de législation du Conseil d’État égyptien pour tous les projets de loi, de règlement et de décret : "Les projets de lois et d’ordonnances, et les projets de décrets doivent être envoyés à la Section de législation afin de réviser leur rédaction. Il est possible de demander à la Section de législation de préparer de tels projets".
  39. L’article 14 de la loi constitutionnelle française n° 2008-724 du 23 juillet 2008 a ajouté un dernier alinéa à l’article 39 de la Constitution qui prévoit une saisine facultative du Conseil d’État par le président de l’assemblée intéressée ; Journal officiel, n° 171 du 24 juillet 2008, texte n° 2, p. 11890.
  40. Loi n° 2009-689 du 15 juin 2009 tendant à modifier l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et à compléter le Code de justice administrative, Journal officiel, n° 0137, 16 juin 2009, p. 9784. Ces conditions sont les suivantes : la demande d’avis doit être formulée avant l’examen du texte en commission par le président de l’Assemblée sauf si l’auteur de la proposition s’y oppose.
  41. Article 39 de la Constitution française de 1958. Sur le rôle du Conseil d’État à l’égard des propositions de loi : A. Roblot-Troizier, J.-G. Sorbara, "Limites et perspectives de la nouvelle fonction législative du Conseil d’État", L’Actualité juridique. Droit administratif, n° 36, 2009, p. 1994-2001 ; P. Gonod, "Le Conseil d’État, conseil du Parlement", Revue française de droit administratif, 2008, p. 871 et P. Gonod, "L’examen des propositions de loi par le Conseil d’État : procédure novatrice ou simple gadget ?", Revue française de droit administratif, 2009, p. 890.
  42. Article 2 des lois coordonnées sur le Conseil d’État.
  43. Article 6 bis des lois coordonnées sur le Conseil d’État. Sur cette mission, voyez J. Salmon, J. Jaumotte, E. Thibaut, Le Conseil d’État de Belgique, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 311.
  44. Idem.
  45. Articles 3 et 84 des lois coordonnées sur le Conseil d’État.
  46. La publication en ligne systématique des avis du Conseil d’État belge est réglée par les articles 5/1 à 5/4 des lois coordonnées sur le Conseil d’État depuis la loi du 16 août 2016 modifiant les lois coordonnées sur le Conseil d’État ; Moniteur belge, 14 septembre 2016 (2e éd.).
  47. Le site internet du Conseil d’État belge contient un vade-mecum détaillé sur la procédure devant la section de législation.
  48. La section du rapport et des études du Conseil d’État français a été créée par le décret n° 85-90 du 24 janvier 1985, Journal officiel, 25 janvier 1985, p. 1043.
  49. L’article R123-5 du Code de justice administrative française dispose que ce rapport mentionne les réformes d’ordre législatif, réglementaire ou administratif sur lesquelles le Conseil d’État attire l’attention du Gouvernement, et signale les éventuelles difficultés rencontrées dans l’exécution des décisions contentieuses du Conseil d’État et des juridictions administratives.
  50. L’article 119 des lois coordonnées sur le Conseil d’État belge, inséré par l’article 7 de la loi du 24 mars 1994, prévoit que le Conseil d’État établit et publie annuellement un rapport d’activités. Il en fixe le contenu de manière précise (statistiques des affaires, répartition des affaires, mise en œuvre des plans de gestion, cadre du personnel, …).

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