Introduction

C’est un truisme que de le rappeler : ces phénomènes que l’on nomme « folie » demeure toujours associée à une myriade de représentations sociales et culturelles – tantôt cohérentes, tantôt contradictoires – qui imprègnent notre imaginaire collectif et témoignent du caractère nécessairement pluriel d’un tel fait social. S’il fallait néanmoins isoler une image en particulier, qui est si durablement arrimée à l’expérience de la folie qu’elle en est devenue, dans notre culture, l’une des figures principales sinon la figure princeps, nul doute qu’il s’agirait du lieu au sein duquel celle-ci fut historiquement identifiée, diagnostiquée, enfermée, traitée et reléguée ; à savoir l’asile psychiatrique.

Quelque quatre siècles nous séparent désormais de l’invention de ce qu’il est aujourd’hui coutume d’appeler l’« hôpital psychiatrique », dont Michel Foucault a situé non pas la naissance à proprement parler, mais plutôt la préfiguration en Europe dès le début du XVIIe lors du « Grand Renfermement »Foucault (M.), Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 [1961], p. 56.. D’abord destinées à l’isolement, au redressement et à la mise au travail forcée d’une population marginale et subalterne hétéroclite – composée certes d’individus réputés « fous », mais aussi de vagabonds, mendiants, séditieux, libertins, débauchés, etc. ; bref des « désaffiliés »Castel (R.), Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995. et des « anormaux »Foucault (M.), Les anormaux. Cours au Collège de France (1974-1975), Paris, Seuil/Gallimard, 1999., jugés tout à la fois inutiles sur le plan économique et surtout condamnables sur le plan moral –, les grandes infrastructures disciplinaires d’internement constitutives de ce « monde correctionnaire »Foucault (M.), Histoire de la folie à l’âge classique, op. cit., p. 92. se sont ensuite progressivement différenciées, ciblant plus précisément des « publics » spécifiques ; l’horizon d’une expérience homogène de l’exclusion commence à se détricoter. C’est ainsi qu’apparaissent en Europe, tout au long du XVIIIe siècle, les maisons de fous et autres établissements exclusivement consacrés à l’isolement de celles et ceux que l’on reconnait dorénavant comme situés du côté de la déraison, ou tout au moins sur la ligne de crête de sa frontière.

Confinée dans un espace qui lui est propre, la folie va alors pour la première fois dévoiler la pluralité de ses visages et, par-là, se singulariser dans le paysage des anormaux. Les lunatiques ne sont pas semblables aux déments, lesquels se différencient des imbéciles et des entêtés, qui ne peuvent être non plus ni assimilés aux dérangés, ni aux enragés. Un « nouveau partage »Ibid., p. 401-439. s’inaugure, renforçant la netteté des contours de l’espace de la déraison. L’aliéné et l’insensé se distinguent sur base de leur situation par rapport à cet espace ; si celui-ci a maintenu un lien certain avec la raison pour mieux la pervertir, la tronquer et se jouer de ses failles, celui-là, en revanche, a perdu toute connexion avec elle. La folie se constitue alors non seulement en tant que figure épurée de la déraison à l’endroit de l’aliéné, mais encore en tant que langage autonome. Elle n’est plus l’émanation d’une parole dont l’altérité se rapporte à des forces invisibles, mais elle parle par elle-même et pour elle-mêmeIbid., p. 414.. C’est paradoxalement au moment de son renvoi dans le lieu de la déraison que la folie se déplie dans un espace de visibilité et de lisibilité – la rendant en quelque sorte saisissable et pénétrable par un regard depuis son extériorité, « perception asilaire »Ibid. s’il en est – où gît sa vérité profonde et où surgit, à la surface de son enveloppe, la possibilité de s’en approcher.

Un tournant supplémentaire est opéré à la fin du XVIIIe à Bicêtre, qui accueillait jusqu’alors aussi bien des indigents que des malades ou des criminels. Le médecin Philippe Pinel ordonna le retrait des chaînes et des fers des aliénés (comme le montre le célèbre tableau de Charles Müller), estimant que ces derniers relevaient d’un traitement médical et non d’un châtiment social. En deçà de cette réécriture toute romantique de l’histoire traditionnelle de la psychiatrie qui érige l’aliéniste en héros humaniste libérateur (les conditions d’existence des fous dans l’asile demeureront encore très longtemps rudes et cruelles)À ce sujet, cf. notamment Quétel (C.), Histoire de la folie : de l’antiquité à nos jours, Paris, Tallandier, 2009., le geste de Pinel a ceci de symbolique qu’il subsume les déplacements majeurs de nos conceptions de la folie au sortir de l’époque moderne, en entérinant le grand partage entre raison et déraison qui se creuse souterrainement depuis près d’un siècle, et qui culminera bientôt avec le début de l’épopée asilaire à proprement parler.

Car désormais, quoique relevant toujours de logiques éminemment disciplinaires (rappelons que le fameux Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale de Pinel préconise un « traitement moral » reposant sur des principes pour le moins autoritaires), la folie n’est plus exclusivement l’apanage des dispositifs répressifs ; puisqu’elle peut être identifiée et objectivée, disséquée et classée, logée et traitée, elle est avant tout l’affaire de la médecine, et plus précisément de l’aliénisme. Aussi ce basculement épistémologique et politique signe-t-il l’avènement d’un « ordre psychiatrique »Castel (R.), L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris, Minuit, 1976., c’est-à-dire du placement de la folie sous le giron d’une branche particulière de la médecine caractérisée par l’autonomie croissante de ses pratiques, de ses codes, de ses méthodes, de ses savoirs et – surtout – des lieux et espaces où elle se déploie. La capture est totale, sans appel. Successeur de Pinel en tant que médecin-chef de la Salpêtrière, Jean-Étienne Esquirol est l’un des artisans principaux de la Loi du 30 juin 1838 (restée en vigueur en France jusqu’en 1990) qui contraint chaque département à se doter d’un asile d’aliénés, afin de prendre en charge les fous selon une méthodologie stricte de l’internement, elle aussi inspirée par les écrits d’Esquirol. L’aliéniste règne en maître sur cet espace qui apparait comme un prolongement de lui-même ; il enregistre, évalue, enferme, classe, punit, soigne, recherche et théorise. L’implémentation du dispositif asilaire partout en Europe achève d’installer la folie pour de bon – et pour longtemps – dans son lieu de vérité.

Contrairement à l’hôpital général, l’asile ne constitue pas un lieu dans lequel tout un chacun transitera au moins une fois au cours de sa vie, fût-ce comme simple visiteur. La méconnaissance de ces espaces clos, inhérente à leur inaccessibilité, a assurément contribué – et contribue toujours – à entretenir une forme de mystère générateur d’un grand nombre de fantasmes et de représentations spontanées à leur endroit, de sorte qu’ils nous apparaissent paradoxalement comme des lieux communs. Le cinéma n’a pas manqué de se saisir de ce potentiel imaginaire, faisant de l’hôpital psychiatrique un décor de choix pour déployer toutes sortes d’intrigues dans lesquelles les figures caricaturales côtoient la justesse du propos, et vice versa. Mais que les nombreux films qui mettent en scène l’institution psychiatrique soient vraisemblables ou non importe finalement assez peu pour le présent travail. La tâche qui nous occupe ne réside en effet ni dans un exercice d’évaluation de la plausibilité d’une œuvre, pas plus que dans la déconstruction des stéréotypes qui y sont véhiculés. Tout au contraire, nous chercherons plutôt à interroger comment l’histoire du cinéma, tel un miroir – mais un miroir déformantZarifian (E.), « La psychiatrie et le cinéma, une image en miroir », Les tribunes de la santé, vol. 2, n°11 (2006), p. 39-45. –, s’est étroitement construite en regard de l’histoire de l’asile, au point que l’une et l’autre s’affectent mutuellement.

Aux sources de ce travail, un constat : la littérature scientifique dispose d’assez peu de références en ce qui concerne la mise en images de l’institution psychiatrique. Plus exactement, elle ne propose que très peu de textes qui croisent le destin du cinéma et celui de l’asile. Or, comme tenteront de le montrer modestement les chapitres qui suivent, tous deux entretiennent pourtant des rapports d’affinité et de conflictualité, non seulement – cela va sans dire – sur le plan esthétique, mais aussi sur les plans historique et politique. Parce que l’asile constitue une forme institutionnelle à l’historicité singulière, ses représentations doivent nous intéresser pour ce qu’elles disent de la place qu’occupe ce lieu étrange dans notre contemporanéité en tant que dispositif concret de régulation de la déviance, mais aussi comme figure spectrale aux confins de nos imaginaires. Car à l’instar de toute institution socialeGodelier (M.), L’imaginé, l’imaginaire et le symbolique, Paris, CNRS, 2016., l’asile dédouble son existence sur la scène de l’Histoire ; il s’incarne simultanément dans la matérialité de son appareillage et dans l’image virtuelle de la folie qu’il a durablement façonnée entre ses murs. Si d’aucuns prétendent que l’asile psychiatrique s’est métamorphosé au cours du siècle dernier, tandis que d’autres soutiennent que la crise qu’il a traversée a précipité sa disparition du territoire de la psychiatrie, cela n’a finalement que peu d’importance. Transformé ou enterré, son double imaginaire continue de hanter notre culture, nous imposant, tel un fantôme, l’héritage sensible d’une expérience de la folie que nous prolongeons malgré nous au présent, et dont nous ratifions ce faisant l’institution (stricto sensu), au terme d’un rapport d’hétéronomie.

Or il se pourrait bien, justement, que l’image cinématographique, eu égard à son pouvoir inédit de réflexivitéMorin (E.), Le Cinéma ou l’Homme imaginaire, Paris, Gonthier, 1965 [1958]., soit en mesure de questionner avec un haut degré d’acuité cette empreinte mnésique de l’asile qui creuse son sillon à la surface de notre mémoire collective, ouvrant une béance, un impensé, dans lequel naît – et aussitôt disparait – l’insaisissable étrangeté de ce que nous appelons « folie ». C’est que l’intelligence de la machine cinématographiqueEpstein (J.), L’intelligence d’une machine, Le cinéma du diable et autres écrits. Écrits complets, vol. V (1945-1951), Paris, Independencia, 2014., si chère à Jean Epstein, réside précisément dans sa capacité à entrelacer flux psychique et flux filmique à l’infiniMorin (E.), Le Cinéma ou l’Homme imaginaire, op. cit., p. 87., au point de nous projeter devant le temps, de rendre sensible la cohorte de spectres qui errent entre ses couches et dont on contemple à présent le scintillement à l’écran. Avec le cinéma, l’expérience de la folie telle qu’elle s’est constituée dans l’asile nous parvient par voie d’affects, imprimant son trouble à même notre corps. Mais la puissance des images est susceptible de dévoiler, du même coup, l’instabilité de l’édifice asilaire, en mettant en lumière la duplicité de sa réalité, la facticité de son entreprise et l’illusion qui habite sa fonction auto-proclamée de « lieu de soin ». Car si le cinéma pense, c’est bien parce qu’il ne cesse de nous confronter à l’impensé – et peut-être même à l’impensable – de notre rapport au monde, au risque de nous installer dans l’incertitude, le doute, l’angoisse ; condition sine qua non à l’émergence d’une démarche critique. C’est en tout cas l’une des intuitions qui traverse ce texte de bout en bout.

Ceci dit, précisons-le, ce travail ne se fixe guère d’objectifs précis en ce qui concerne ses finalités et, bien plus, ses prétentions ; ces dernières n’étant ni de l’ordre de l’exhaustivité, ni non plus de l’ordre de la démonstration. C’est que contrairement aux usages, ce livre ne s’est pas constitué à partir d’une hypothèse clairement définie, pas plus qu’il n’a été le fruit d’un exercice de problématisation méthodique s’inscrivant dans les normes d’un champ de recherche spécifique. En toute honnêteté, ce texte doit plutôt se concevoir comme une exploration instinctive de directions théoriques parfois divergentes, mais toujours ancrées dans un rapport à la matière de l’image ; d’où l’importance que ce propos prenne appui, en permanence, sur une pluralité de productions cinématographiques autour desquelles se structure le corps du livre. Cette liberté dans la construction des analyses se réverbère dans l’architecture de l’ouvrage. Il est en effet possible, pour le lecteur, de se plonger dans l’un ou l’autre chapitre sans nécessairement avoir lu les précédents. De même qu’il lui est tout aussi loisible, s’il le souhaite, de lire l’ensemble du texte à front renversé, en commençant par la fin. En somme, ce travail s’organise comme il a été pensé : en désordre. Mais un désordre qui lui confère néanmoins cette curieuse marque de franchise inhérente à toute entreprise artisanale.

Concrètement parlant, le texte est organisé en cinq chapitres dont nous résumons brièvement la teneur. Au départ de trois films, le premier chapitre s’attache à établir des liens entre des écrits théoriques sur l’institution psychiatrique et son image que le cinéma nous propose. La structuration de cet « empire du dualisme » donne en effet à voir le quotidien d’un univers au caractère « dramaturgique »Goffman (E.), La mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1973 [1956]., dans la mesure où il est constitutif d’une scène sociale aux rôles rigoureusement définis, aux positions singulièrement asymétriques, et au cadre particulièrement contraignant. Documentaires ou fictionnels, les films sur l’hôpital n’ont cessé de mettre en exergue les écarts entre, d’un côté, les buts et missions avoués de l’institution, et, de l’autre, son fonctionnement effectif. L’asile est ici pensé dans toute la duplicité consubstantielle à sa naissance, laquelle, si elle a été décrite maintes fois au sein de monographies, n’est jamais apparue avec autant de clarté que sur le grand écran.

Puis, le second chapitre questionne plus avant la mise en images de l’institution psychiatrique en épinglant, entre autres éléments, les opérations de cadrage et de montage qui président dans la réalisation des films traités au sein du premier chapitre. À travers l’institution d’un espace filmique, les réalisateurs présentent une image originale de l’espace institutionnel qui nous renvoie à ses propriétés fondamentales. En les inscrivant dans la matière de l’image, le dispositif cinématographique pense l’institution de façon inédite et nous fournit, en creux, de précieux renseignements sur ses « technologies » de prise en charge qu’il s’agira d’analyser à l’aune des images que nous proposent les films. À ce propos, il est utile de répéter combien l’élaboration de ce travail s’est faite au contact des images ; c’est pourquoi de nombreux photogrammes balisent le texte. Ce recours aux images ne poursuit pas une vocation « illustrative », mais se borne autant que faire se peut à fournir au lecteur un échantillon visuel de la matrice sensible sur laquelle repose l’intégralité du propos. Bien entendu, aucune image fixe et inanimée ne saurait remplacer l’expérience du film qui demeure sans doute indispensable en vue de la bonne compréhension des analyses qui suivent.

Le troisième chapitre laisse quant à lui de côté les films étudiés dans les chapitres antérieurs pour se concentrer sur trois autres productions qui usent de l’institution psychiatrique comme espace diégétique propice au déploiement d’une énigme. Toute contenue non seulement dans la folie des personnages mais aussi dans l’étrangeté de l’asile, il s’agira, d’abord, d’analyser comment cette énigme fixe les coordonnées spatio-temporelles du récit qu’elle engendre pour aboutir à son élucidation. Ensuite, nous montrerons combien le récit énigmatique, du moment qu’il prend place au sein de l’asile – et donc dans un lieu faisant la part belle au délire –, questionne le statut de la vérité aussi bien dans la narration que dans l’image cinématographique. Enfin, ces analyses nous conduiront à réfléchir quant au pouvoir « falsificateur » du cinéma. L’intérêt de ce chapitre réside, à notre sens, dans ce qu’il donne à penser du cinéma en tant que « faussaire », c’est-à-dire en tant que machine qui exploite pleinement « les puissances du faux »Deleuze (G.), Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Minuit, 2002 [1985], p. 165., et ce tout particulièrement lorsque le récit s’inscrit dans l’ambiguïté propre à l’espace asilaire.

Le quatrième chapitre se penche sur les perspectives critiques qui émanent des rapports historiques entre le cinéma et l’asile. C’est que le dispositif asilaire est entré en crise au sortir de la Seconde Guerre Mondiale et, dans le même temps, s’est érigé comme une thématique de choix pour de nombreux cinéastes. Cette concomitance ne relève en rien de la rencontre fortuite ou de la simple coïncidence. Bien au contraire, il se pourrait que la multiplication des films sur l’asile ait accompagné le développement de l’« antipsychiatrie » – qui elle-même s’inscrit au cœur d’un plus vaste mouvement contestataire – tantôt avec des films visant à épingler le caractère totalitaire de l’asile ; tantôt avec des productions témoignant de l’avènement de formes institutionnelles inédites d’accueil du trouble. Dans la foulée, un cinquième et dernier chapitre, plus court, questionne les transformations contemporaines de l’institution psychiatrique qui font suite à cette période de crise. À l’heure où les politiques sanitaires promeuvent la « désinstitutionnalisation » des soins, de même que la « déstigmatisation » des troubles psychiques, l’hôpital psychiatrique pourrait sembler être un mauvais souvenir. Pourtant, l’articulation de la psychiatrie et d’une culture globale de la santé mentale débouche plutôt sur un mode de gouvernement gestionnaire de ce que nous identifions comme étrangeté, donnant à l’asile un nouveau visage en même temps qu’un second souffle.

Enfin, loin de s’apparenter à un propos de clôture, les conclusions de ce cheminement sont conçues comme autant d’ouvertures à une pluralité de débats autour du cinéma, de sa place singulière dans l’Histoire et de son potentiel destituant. Le lecteur saura reconnaitre que les pistes avancées dans ces quelques lignes relèvent davantage d’une tentative acrobatique de synthèse des intuitions qui ponctuent ce texte. Il nous semblait en effet plus pertinent de proposer, en guise d’ultimes réflexions, des perspectives de recherche et d’analyse en lieu et place d’un simple résumé superflu et redondant.

Comme l’indique son sous-titre, cet ouvrage doit être lu comme un essai, au sens strict, c’est-à-dire en tant qu’il déroule une réflexion nourrie d’un point de vue sur l’institution psychiatrique ; point de vue qu’il s’agira d’étayer, de documenter et de mettre en lien avec les productions cinématographiques. La forme essai laisse également entendre que les propositions d’analyse gagneraient très certainement à être peaufinées, précisées et approfondies dans le cadre d’une recherche plus spécifique sur l’une ou l’autre de ces facettes. Ceci pour dire que cet ouvrage est constitué d’une matière vivante, extraite aussi bien d’intuitions et d’expériences, que d’un travail de lecture et de conceptualisation – l’une et l’autre de ces faces étant bien entendu à comprendre dans le rapport dialectique qu’elles entretiennent. Force est de constater qu’un retour réflexif sur cet exercice montre qu’il recèle un certain nombre de maladresses, d’approximations et d’angles morts. Celles-ci pourront peut-être faire l’objet de discussions prochaines avec les lecteurs de ce livre, si tant est qu’ils y trouvent une matière propice au débat. En tout cas, nous l’espérons sincèrement.

Un dernier mot encore. Quiconque écrit sur l’asile – y compris lorsqu’il s’agit d’un texte académique à vocation théorique – ne peut se permettre de faire l’impasse sur la violence qui structure historiquement son fonctionnement. De l’enfermement à la médication à outrance, de la lobotomie aux électrochocs, le dispositif asilaire s’est érigé dès sa naissance à la fois comme source de matériau humain rendu disponible du fait de sa condition subalterne, et comme laboratoire usant de ce même matériau pour réaliser toutes sortes d’expériences in vivo. Malheureusement, contrairement à ce que d’aucuns se plaisent à suggérer, ce temps n’est guère révolu. Aujourd’hui encore, des personnes sont soumises à des traitements contraints et dégradants, au mépris des droits du patient, au cœur de nos hôpitaux psychiatriques. Pour certaines d’entre elles, il n’y aura guère de sortie ; la mort est toujours une réalité dans nos institutions. Quant aux survivants, quelques-uns dédient leur vie à témoigner et à lutter, mettant à disposition leurs savoirs afin qu’un jour, le plus tôt possible, leur expérience ne puisse se reproduire sur d’autres personnes. Ce texte ne saurait prétendre au statut d’hommage, ni à plus forte raison à celui de soutien à tous les psychiatrisés ; il ne comporte rien qui ne leur soit inconnu. Sinon une dette immense à leur égard.

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Images asilaires Droit d'auteur © 2003 par Laurent Gilson est sous licence Licence Creative Commons Attribution - Pas d’utilisation commerciale - Pas de modification 4.0 International, sauf indication contraire.

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